Abdoulaye Diallo: «Ciné droit libre n’est pas un festival rebelle»


Abdoulaye Diallo est le coordonnateur du festival Ciné droit libre qui tient sa dixième édition du 1 au 7 juin 2014. Dans cet entretien il revient sur l’histoire de ce festival qui est né à la suite de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo. Il y aborde également les préparatifs de la dixième édition qui a LIEU DU 1 AU 7 JUIN 2014.
Fasozine: Vous êtes en plein dans les préparatifs du festival Ciné droit libre qui s’ouvre dans trois semaines. Comment s’annonce la dixième édition?

Abdoulaye Diallo : Cette dixième édition se prépare bien. Nous avons déjà arrêté la programmation.  Nous connaissons les films qui seront projetés. Nous avons une idée de tous ceux qui vont venir et de toutes les activités prévues. Nous sommes dans la phase de la mise en œuvre de notre chronogramme.  Le visuel est prêt. Les éliminatoires du concours «10 minutes pour convaincre» démarrent  les 16 et 17 mai. Les lieux sont déjà arrêtés, en dehors de l’université de Ouagadougou où on n’a pas encore l’accord pour occuper l’amphi A600.  Globalement, nous pouvons dire qu’à l’étape actuelle, tout est mis en œuvre pour réussir cette 10è édition.



Dix ans, c’est déjà beaucoup, comment est né ce festival ?

Cette année le thème retenu c’est «I have a dream». C’est un thème qui s’applique à notre cas parce que Ciné droit libre est parti d’une histoire entre trois copains: Luc Damiba, Gidéon Vink et moi-même. Nous nous sommes retrouvés autour d’un projet de film sur Norbert Zongo. D’une manière ou d’une autre, chacun de nous a une histoire avec Norbert Zongo. J’ai moi-même été recruté par Norbert Zongo au Centre de presse qui porte aujourd’hui son nom. J’ai travaillé avec lui.

Luc Damiba était le coordonnateur du Réseau national de lutte anti-corruption. Nous avions envie de faire un film sur Norbert Zongo, «Borry Bana».  Quand le film est sorti, nous avons eu des difficultés pour le diffuser. Mais cela ne nous a pas arrêtés. Nous avons fait le rêve qu’à partir de ce film-là, nous pouvions changer les choses.  C’est ainsi que nous avons développé toutes sortes d’initiatives pour que le film soit vu par le maximum de personnes.  Nous avons essayé de le diffuser sur les chaines de télévision, mais cela n’a pas marché. Nous avons  également tenté dans les salles de ciné, ça n’a pas marché non plus, tant le sujet dérangeait. Nous avons même voulu que les gens piratent le film, en vain. Nous nous sommes mis à faire des VCD, des DVD, qu’on donnait aux gens pour diffuser. Par la suite, nous avons tenté avec le Fespaco qui a rejeté le film.  C’est là que nous avons organisé un «Fespaco off » avec le Centre de presse Norbert Zongo, qui a suscité beaucoup d’engouement.

Aujourd'hui le film «Borry bana» a fait le tour du monde. Dans toutes les grandes salles, dans les festivals de films africains, Borry bana est passé.  Mais au Burkina Faso, ça ne passait pas.  Le 3 mai 2004, le film est passé dans 15 pays africains en même temps. Voilà comment le rêve est devenu réalité. C’est à partir de là que nous nous sommes dit qu’il fallait créer un événement autour de ces films engagés. C’est comme cela que tous les trois, nous avons décidé de faire un événement autour de ces films engagés qui intéressent beaucoup de gens. Nous avons rapidement monté le projet qui a séduit l’Ambassade des Pays-Bas qui nous a accompagnés. Mais notre objectif c’était de faire en sorte que Borry Bana puisse passer dans une salle au Burkina Faso. Même le Centre culturel français (CCF), qui est notre partenaire, avait, à l’époque, refusé de projeter le film. Le directeur d’alors devrait se référer à l’ambassade qui devrait elle aussi se référer au ministère des Affaires étrangères en France. Nous n’avons pas obtenu un accord. Pour la première édition, nous sommes restés deux jours au CCF et le troisième jour, nous avons loué une autre salle en ville, pour pouvoir diffuser Borry Bana.

C’est donc comme cela que la mayonnaise a pris?

Oui, nous avons créé le tout premier festival de films de droits humains en Afrique francophone et peut- être en Afrique. En 2006, nous avons fait une deuxième édition et tout de suite nous avons été accueillis par le réseau mondial de films sur les droits humains, ce qui nous a flattés. Après la deuxième édition, nous avons arrêté, de commun accord avec nos partenaires, l’idée d’un festival annuel. Mais nous ne voulions pas faire quelque chose de grand, au risque de ne pas pouvoir maîtriser l’organisation. Mais nous restons créatifs, ce qui nous permet chaque année de faire une édition toujours différente de la précédente. Nous avons  décentralisé le festival dans d’autres villes du Burkina Faso, puis dans d’autres pays. Le festival s’est installé à Abidjan. Nous avons également fait une édition à Bamako,  puis une édition spéciale au Kenya. Nous avons aidé à faire un festival de ce genre au Togo. Actuellement, la Tunisie est en train de lancer un festival similaire. Nous avons lancé cette année Ciné droit libre à Dakar. En plus, nous avons créé une web-tv qui a aussi du succès. Aujourd’hui, nous sommes très fiers d’avoir contribué à créer tout ce mouvement.

Au regard de l’historique de ce festival, on peut s’imaginer qu’il n’a pas été favorablement accueilli par les autorités de ce pays ?


Pour moi, les questions de difficultés sont à anticiper. On s’imaginait qu’un festival comme le nôtre, qui dénonce, ne doit pas plaire à nos dirigeants. Et c’est valable pour les dirigeants des autres pays africains. Mais nous nous sommes entourés de précautions pour ne pas dépendre de l’avis ou d’une décision des autorités. Nous sommes allés très vite. Ces autorités n’ont plus le choix, nous sommes là. Mais nous ne sommes pas un festival rebelle. Nous travaillons même avec le ministère des droits humains qui a déjà parrainé deux éditions. Il y a deux ans, le ministre des Droits humains nous a accompagnés à Bobo. Le travail que nous faisons est un travail responsable. Nous ne sommes pas des hors-la-loi, des voyous. Nous travaillons de façon rigoureuse. Et c’est un travail qui contribue à faire avancer le pays, même si cela ne plait pas à certains, cela plait aux Burkinabè et c’est ça qui est le plus important. Quand les gens sont libres de s’exprimer, les autorités voient leurs erreurs et peuvent travailler à les corriger.  Nous permettons aux gens de s’exprimer, de ne pas accumuler la colère, de pouvoir libérer la parole. Et cela peut éviter par exemple que certains commettent des actes inciviques. Il y a des ministres qui viennent au festival. Ça peut ne pas plaire, mais c’est bon pour le pays. Nos autorités ont compris cela, je crois.

Rappelez nous les grands noms qui ont pris part à ces 9 dernières éditions

Il y en a beaucoup. Mais je peux citer Tiken Jah, Henriette Ekwé, Roland Lumumba, Serge  Bilé, la célèbre cantatrice Barbara Hendrix, Doumbi Facoly, Abdou Latif Coulibaly, Didier Awadi, Aminata Traoré qui revient cette année et  j’en passe.  On a de grands réalisateurs et de grands humoristes comme Mamane, Adama Dahico. En tout cas on a vu passer du beau monde. Cette année par exemple on a Jerry Rawlings. Nous avons failli avoir Alpha Blondy cette année, n’eut été sa tournée.

En dépit de tout, on s’imagine qu’il y a tout de même des difficultés

Oui, mais l’organisation, c’est la gestion des difficultés. S’il n’y a pas de difficultés, il n’y a pas d’organisation. C’est vrai que ce n’est pas simple, avec surtout le retrait des Pays-Bas. Nous nous battons pour obtenir des financements complémentaires. En tout cas, nous allons organiser la dixième édition. C’est d’ailleurs l’occasion pour moi d’interpeller  les sponsors. Il ne faut pas que les gens aient peur de financer ce genre d’évènements. Par exemple, cette année, nous avons un partenariat avec Ubiznews, une chaine qui est sur le satellite.  Ubiznews va passer gratuitement la publicité de chaque sponsor prêt à financer Ciné droit libre. Donc j’exhorte les gens à nous soutenir. Nous ne sommes pas des rebelles, nous faisons un travail utile à tout le monde, un travail de conscientisation… Mais les difficultés ne nous font pas peur.

Le Président Rawlings est votre invité principal, votre parrain. A quoi les festivaliers doivent s’attendre avec lui?

C’est une personnalité de haut rang. Depuis qu’il n’est plus président, il anime des conférences sur la démocratie et la bonne gouvernance. Nous nous sommes dit que les gens retiennent les messages de personnalités comme lui. C’est un homme qui était au pouvoir, qui l’a quitté librement. Son pays est cité comme un exemple aujourd’hui. C’est parce qu’il l’a voulu. Il aurait pu rester au pouvoir, mais il a décidé de partir librement. Il n’a pas voulu changer la Constitution. Il a demandé pardon aux Ghanéens pour toutes les erreurs qu’il a commises. Pour nous, c’est une personnalité de référence. C’est donc une bonne occasion pour la jeunesse et pour tout le monde, de discuter avec lui, de l’écouter, de prendre ses conseils pour aider à la construction de notre pays, de notre démocratie et de l’Afrique tout entière.

Un message à l’endroit de tous les festivaliers?

Je les remercie pour la confiance et leur dis que Ciné droit libre est encore là, avec un programme très chargé. Cette année, le village du festival va durer six jours. Il faut que les gens soient mobilisés pour que cette dixième édition soit un vrai succès.

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